2.3 - Où la notion est-elle déjà utilisée ?

mise à jour: 01/01/1999

 

L'idée d'une capacité limite d'un espace est bien connue des agronomes: un champ peut nourrir de façon durable un nombre donné de têtes de bétail ; au delà de ce seuil, l'environnement se dégradera, la ressource en herbe disparaîtra au point de mettre en péril la survie du troupeau. Les naturalistes recourent eux aussi à cette notion pour évaluer la limite au delà de laquelle une forêt par exemple subira des dommages de la part d'une population de cervidés par exemple.

L'extension de la réflexion issue des sciences agronomiques ou écologiques à l'accueil du public dans des grands sites naturels, ne peut se faire par simple transposition de la notion de capacité de charge. On l'a dit, la « capacité d'accueil » d'un site ne peut se limiter à.la seule prise en compte de critères biologiques.

Si la réflexion sur la capacité d'accueil peut paraître nouvelle à bien des gestionnaires de sites naturels, elle est couramment utilisée et admise pour d'autres types de lieux ouverts au public :

- les bâtiments accueillant du public, les équipements publics, les transports...: les règlements de sécurité des lieux clos fixent un nombre maximal de personnes accueillies ou transportées au motif de la résistance des structures et de la sécurité des personnes.

- les musées et monuments historiques : s'ajoutent aux habituels règlements de sécurité, des considérations relatives à la conservation des bâtiments et des oeuvres d'art exposées, mission première de ces établissements.
Si la notion de capacité d'accueil se développe et est bien acceptée pour les espaces bâtis ou clos, peu de grands sites naturels français y ont recours.
L'exemple de l'Ile de Tatihou

L'île de Tatihou, dans la Manche, ancienne île militaire, est constituée d'un espace naturel préservé autour d'un fort du 17ème siècle et d'un ancien lazaret destiné à accueillir les marins des colonies placés en quarantaine. Elle est affectée en 1988 au Conservatoire du littoral qui, associé au conseil général de la Manche, définit un projet culturel et touristique : la création d'un centre culturel scientifique centré sur la mer et les fortifications.
Ouverte au public depuis 1992, elle offre un exemple intéressant d'un site où, partant d'une fréquentation nulle, le gestionnaire peut choisir et non subir la fréquentation de l'île.
L'ouverture au public a été pensée en acceptant une double contrainte : ne pas remettre en cause la taille du port conçu pour l'arrivée de bateaux de petite taille ; préserver la qualité des 21 hectares de landes, de dunes et de grèves et protéger l'avifaune qui y niche.
Un bateau à roues, d'une capacité de 43 personnes, assure la liaison entre le continent et l'île. Le nombre de passages journaliers est limité à 10, ce qui, avec le petit nombre de personnes pouvant accéder à pied à marée basse (environ 5 %), maintient la fréquentation à 500 visiteurs par jour. L'exploitation de la liaison est assurée directement par le Conseil général, de façon à contrôler l'accès au site. L'île accueille aujourd'hui 50 000 visiteurs par an, sachant qu'en juillet et août, elle refuse environ 4 000 à 5 000 personnes.
Anne Vourc'h, Patricia Coudray, Urbanis, « Réhabilitation tOllfistique de sites délaissés, guide de sensibilisation », Ministère de l'Environnement, 1995.

La notion de capacité d'accueil dans le droit de l'urbanisme

La notion de capacité d'accueil ne figure qu'une seule fois dans le code de l'urbanisme. Nous y faisons référence ici, bien que le contexte et l'objectif dans lesquels elle est mentionnée soient bien différents de celui de la préservation et de la gestion des grands sites.
La Loi littoral du 3 janvier 1986, fait en effet référence à la notion de "capacité d'accueil", afin de cerner les possibilités d'urbanisation d'espaces littoraux.
Sans en donner une définition explicite, elle stipule que l'obligation de préservation s'impose aux documents d'urbanisme et que la capacité d'accueil des espaces urbanisés et à urbaniser doit demeurer compatible avec cet objectif de préservation.

" Pour déterminer la capacité d'accueil des espaces urbanisés ou à urbaniser, les documents d'urbanisme doivent tenir compte :
- de la préservation des espaces et milieux mentionnés à l'article L.146-6
- de la protection des espaces nécessaires au maintien ou au développement des activités agricoles, pastorales, forestières et maritimes
- des conditions de fréquentation par le public des espaces naturels, du rivage et des équipements qui y sont liés "

Article L. 146-2 du code de l'urbanisme.

A l'inverse, que se passe-t-il là où une réflexion sur la capacité d'un site fait défaut ? De trop nombreux exemples témoignent de :
- la dégradation physique des sites : ainsi par exemple, à la Pointe du Raz, le piétinement intense, la non canalisation de la foule ont eu pour effet la dégradation du couvert végétal pourtant peu accueillant qu'est la lande, avec des effets de ravinement et d'érosion spectaculaires. Du fait de la disparition de la terre sur la Pointe, la réhabilitation végétale se fait aujourd'hui dans des conditions extrêmement difficiles, à un coût considérable, mobilisant pour plusieurs années des équipes spécialisées testant des méthodes expérimentales délicates. En montagne, les gestionnaires de sites connaissent bien cette spiraie : la dégradation des sentiers par leur surfréquentation les fait délaisser par les randonneurs qui ouvrent des sentiers sauvages finissant par créer un entrelacs de saignées propices à l'érosion.

- l'atteinte à la biodiversité : à Port-Cros, quelque 120 000 bateaux de plaisance mouillent leur ancre chaque été, déversant 4 tonnes de déjections en bordure directe des côtes du parc national, sans que celuici dispose de réels moyens juridiques pour maîtriser ce phénomène.
Ainsi, le Louvre est-il parfois amené à arrêter les entrées parce qu'il y a danger pour les oeuvres ;  ce seuil est fixé de façon pragmatique, l'évaluation de la surfréquentation se faisant de façon purement visuelle. Afin d'éviter cette solution peu satisfaisante de fermeture, le musée a réformé sa politique tarifaire en 1993, instaurant Les conséquences en sont la destruction des herbiers de posidonies, l'accroissement de la turbidité de l'eau par déficit photométrique (la densité des bateaux est telle que leur ombre empêche la lumière de passer), la destruction des cires protectrices que les végétaux produisent pour s'adapter au sel.
un tarif unique modulé selon l'horaire et non pas selon l'âge ou la catégorie sociale, visant à transférer une partie du public du matin vers l'après-midi (grâce au demi-tarif, 12 % des visites se sont déplacées vers l'après-midi) (11).
Pour sa part, le Centre Beaubourg dispose à son entrée d'un affichage électronique instantané du nombre de visiteurs présents dans le Centre et en ferme momentanément l'accès en cas de surcharge.

- les grottes : leur ouverture au public se fait aujourd'hui en tenant compte des impacts sur leur conservation des
 transformations de la composition de l'air et de sa température.
Dans l'exemple le plus célèbre de Lascaux, les impératifs de conservation ont amené, en 1963, le ministre de la Culture de l'époque, André Malraux,  à ordonner la fermeture de la grotte au grand public. Quinze ans d'ouverture menaçaient en effet  les peintures
 Pourquoi ne met-on, pas davantage en pratique la notion de capacité de charge ? »

" Avec l'émergence de la notion de développement durable, de nombreuses conventions et plans insistent sur l'importance de la capacité d'accueil. Et pourtant il est rare d'en trouver une traduction opérationnelle.
Pourquoi ? Plusieurs raisons à ceci :
- la croyance que c'est un exercice académique trop compliqué et une perte de temps
- la pression croissante exercée sur les décideurs en faveur du développement économique et la création d'emplois
- la prime donnée à l'industrie du voyage et du tourisme comme réponse à cette pression
- la tendance à privilégier le court terme dans un contexte de forte compétition économique
- le refus de tout ce qui peut apparaître comme une limite, une restriction»

Ken Chamberlain, « Carrying capacity », Tourisme focus n° 8, 1997, UNEP-IE

magdaléniennes vieilles de 17 000 ans. A quelques dizaines de mètres de l'original, le public peut en visiter la réplique : Lascaux 2 a été ouverte en 1983 ; compte tenu de son succès, elle a été doublée, depuis peu, par Lascaux 3.

- les jardins, et notamment les jardins historiques : rarement conçus pour recevoir la foule, ils peuvent se trouver fragilisés par le piétinement intensif.
Ainsi par exemple, le jardin de Claude Monet à Giverny a eu recours à des moyens diversifiés pour inciter les visiteurs à venir en dehors des jours de pointe, au risque sinon de trouver portes closes.
Il est intéressant de noter que les mesures de régulation de l'accès à des monuments ou expositions ne relèvent pas que de la protection du lieu lui-même, mais également de la préservation de la qualité de l'expérience personnelle du visiteur et de son émotion esthétique : les musées proposant de grandes rétrospectives de peinture par exemple, ont également le souci d'offrir des conditions minimales de sérénité à la visite.

- la dégradation paysagère : les équipements d'accueil qui ne font que « suivre» une demande croissante et solutionner des engorgements ponctuels, induisent la plupart du temps des « paysages de partout et de nulle part » où dominent de vastes parkings mal situés, desservant des sentiers ou des belvédères surencombrés et pelés.

- la perte de qualité et d'attrait du site : les effets de foule ne correspondent plus à ce que le visiteur vient chercher sur un site naturel, ce qui le conduit, après avoir sacrifié au pèlerinage convenu, à rester sur les lieux le moins longtemps possible. A Gavarnie, le temps de visite était encore d'une journée dans les années cinquante ; il est tombé aujourd'hui à 2 h 30. Dans le Mercantour, les randonneurs ont peu de chance de rencontrer des bouquetins, ceux-ci ayant déserté les zones les plus fréquentées.